Quatre semaines viennent de s’ajouter à notre confinement. Quatre fois sept jours où nous devrons, à nouveau, limiter nos contacts humains, oublier les repas partagés au restaurant, les doux moments dans les cafés, les rencontres dans des lieux qui nous sont chers. Quatre autres semaines où notre vie nous est arrachée, mais où il nous reste tout de même une chose : le salvateur grand air.  

J’ai passé la matinée à écrire, à la maison. J’ai travaillé et écrit en sachant très bien que j’étais chanceuse de pouvoir continuer de faire ce que j’aime. De pouvoir travailler. J’ai écrit sur de récents et de plus lointains voyages en écoutant de la musique qui me faisait du bien et qui meublait mon appartement autrement trop silencieux. J’ai des pincements au cœur lorsque j’écris sur mes voyages. Bien sûr, je suis reconnaissante d’avoir pu voyager autant pour le travail que pour le plaisir (l’un vient rarement sans l’autre), mais je suis triste de ne pas savoir quand (si?!) je pourrai revoler vers des contrées inconnues à nouveau. 

Je me suis concentrée sur le positif : le boulot qui ne manque pas, l’inspiration venant avec cette période d’incertitude, la musique m’enveloppant parfaitement.
J’ai allumé le chauffage parce que l’hiver nous pend vraiment au bout du nez. Un ami me confiait qu’il trouvait l’odeur que dégagent les calorifères n’ayant pas servis depuis quelques saisons empreinte de réconfort et de nostalgie. Je suis infiniment d’accord. La petite odeur de brûlé qui se dégage m’a fait du bien. Comme il s’en est passé des choses, tout de même, depuis le dernier hiver. J’ai eu le vertige lorsque j’ai réalisé que la dernière fois où je me suis penchée pour éteindre cet antique calorifère, je n’avais aucune idée du coup de théâtre que nous préparaient la planète et la vie. Moi qui ne saisissais nettement pas l’ampleur du mot pandémie. 

J’ai retiré doucement la peau d’une clémentine au bout de laquelle était toujours accrochée une petite feuille. Je me suis un peu sentie comme elle. Je tiens bon. Cette odeur aussi, me fait du bien, en me renvoyant directement dans les Noëls de mon enfance, mon frère et moi épluchant des clémentines en regardant la télé, allongés près du sapin. Je me suis demandé quel genre de Noël nous aurons cette année avant de repousser la question du revers de la main. Un jour à la fois, et tout ça. J’ai réfléchi à ce qui me faisait du bien en cette période troublante et trouble. J’ai pensé aux livres qui me permettaient de m’évader, tout comme à tous ces textes à écrire m’extirpant de mes autres pensées. J’ai noté le café dont l’odeur (encore, je sais !) semble momentanément guérir tous les maux. La musique essentielle à ma vie et les contacts précieux et fréquents avec mes amis – même loin, même distanciés – mes plus grands amours. Je réitère ce que je disais à deux d’entre elles récemment : ma plus grande joie dans la vie est d’avoir su préserver des amitiés qui, en plus de me faire grandir, m’aident à surmonter les moments difficiles. Comme maintenant.  

Des rayons de soleil ont traversé la fenêtre de ma cuisine l’air de dire « Allez, viens jouer dehors ! » Je me suis levée et j’ai ouvert la porte donnant sur la ruelle arrière, là où de grands murs de briques me protègent du vent, permettant au soleil de réchauffer mon petit balcon. Il faisait assez froid pour qu’un peu de buée sorte de ma bouche lorsque je respirais – enfant, j’aurais  immanquablement fait semblant de fumer une cigarette – , mais ça n’avait aucune importance, il faisait soleil donc soudainement, tout allait mieux. La ruelle était anormalement tranquille, mais j’entendais tout de même les cris joyeux des enfants de l’école du quartier qui devaient profiter de leur récréation et du grand air. J’étais contente de les entendre, moi que le silence angoissait depuis le début de tout cela. 

Je me suis assise sur ma terrasse, même s’il faisait trop froid et que j’étais en pyjama. J’avais envie que l’air du dehors remplisse mon vide intérieur. Que le soleil me réchauffe la couenne. Juste ça.
J’ai persisté en sachant que le mélange de ce moi frigorifié et de rayons de soleil dans le visage allait me faire du bien. J’ai repensé à toutes ces aventures en plein air vécues avant et pendant cette période si particulière. La route de la Côte-Nord empruntée entre les deux confinements, le tour du lac Saint-Jean à vélo, les 150 km marchés en 5 jours sur le sublime et exigeant sentier de la Matawinie en pleine canicule, les balades dans les forêts des Laurentides et des Cantons-de-l’Est, les quartiers de Montréal redécouverts à vélo un arrêt gourmand et un nouveau point de vue à la fois. Je me suis revue, avant la pandémie, déambulant dans les ruelles étroites des médinas, marchant le long des plages ou récoltant des olives dans les champs de la Tunisie, faire du surf en Floride et plonger dans les eaux turquoise de la Guadeloupe. Ces voyages que j’ignorais être les derniers pour un bon moment et ces souvenirs me plaçant immanquablement à l’extérieur, les cheveux et les pensées de façon égale balayés par le vent.

Je suis retournée à l’intérieur de mon appartement qui sentait bon les souvenirs. J’ai fermé mon ordinateur et biffé l’une des nombreuses tâches à accomplir sur la liste que j’avais dressée hier soir pour pouvoir enfin – et mieux – dormir. J’ai troqué mon bas de pyjama pour mon éternel legging noir et ait planté une tuque sur mes cheveux ébouriffés. J’ai décroché mon manteau, ai mis des bottes qui elles aussi oscillaient entre l’automne et l’hiver et j’ai ouvert la porte. Dehors, le soleil s’entêtait à narguer le froid qui s’installait sournoisement. Je l’ai trouvé parfaitement baveux et, un peu comme moi, dans le déni de l’hiver et des longs mois à venir. 

Je me suis mise à marcher sans destination précise, des rayons m’obligeant gentiment à froncer des yeux. Ma matinée venait de se transformer en ce plus beau moment de ma journée. Celui où le grand air m’offrait de respirer mieux, de ne penser à rien et de croire en des jours meilleurs. Lumineux. J’ai réalisé que mes voyages, pour le moment, sont intérieurs… mais qu’ils se font toujours à l’extérieur. Parce que Dieu merci, il nous reste le grand air !