Caroline Côté, cinéaste prolifique et aventurière, est aussi une coureuse exceptionnelle d’ultra-marathons qui a, entres autres exploits, seulement pour la saison 2019, terminé première femme au Grand Raid Des Pyrénées, première femme en Guadeloupe à Les Traces Du Nord, deuxième femme à The North Face Endurance Challenge chez nos voisins du sud et troisième femme au Trail La Clinique Du Coureur. Vous avez dit « ouf »? Moi aussi…

Es-tu tombée dans la marmite à la naissance ? « Avant 2015, année de mon premier ultra, j’étais une totale non-coureuse ! C’est arrivé dans ma vie car j’avais besoin d’aventure et de dépassement. À l’école secondaire, par contre, je faisais des courses et j’avais évidemment envie de battre les gars de ma classe. Quand on faisait le test Léger-Boucher (qui détermine la VO2 max), mon but était assurément d’arriver la première ! »

Mais entre la période scolaire et l’ère des compétitions avec les résultats que l’on connaît, pas de course; tu es donc allée directement à l’ultra-marathon ? « C’est un peu ça, oui. Je crois avoir connu un gros déclic grâce à l’Harricana; à la base, mon but était de découvrir la région de Charlevoix (une partie de ma famille vient de là). Des amis m’ont dit que cette course me ressemblait et je me suis donc lancée pour le 65 kilomètres. Avant ça, je n’avais jamais dépassé les 20 kilomètres. »

Une grande part d’inconnu te séparait du fil d’arrivée « Le peu de préparation et le peu d’expérience m’ont placé dans une position d’inconfort du début à la fin. Si en ultra, on connait ça, l’inconfort, il s’agissait tout de même ici d’une première expérience qui amenait, par la méconnaissance de tous les enjeux, un lot supplémentaire d’inconfort. Une des raisons pour lesquelles je me suis rendue jusqu’au bout, c’est que je voulais prouver à tous ceux qui m’en croyaient incapable que j’avais les compétences pour le faire. Quand on se lance un défi, on s’engage ! »

AVEC UN PEU D’ORGUEUIL, ON PEUT FAIRE BEAUCOUP

« Je ne connaissais absolument rien à la nutrition sportive (glucides, protéines, que des mots !) et rien à l’équipement spécifique non plus. » Mais, par son métier de réalisatrice qui se penchait déjà sur les aventures qui impliquent le long terme, elle avait le caractère pour démarrer les premières foulées qui mènent loin, celles qui comptent. « Dans la vie je suis plus une exploratrice et une aventurière qu’une coureuse de fond; je me sers un peu de la course comme un entraînement pour des expéditions de longs termes. » À l’écouter, ça semble presque court, un ultra-marathon (on parle ici de 50, 65, 80, 120 km et même beaucoup plus). Un peu comme un triathlète qui exécute la distance Ironman commence l’étape marathon en se disant « c’est presque fini », pour Caroline, un ultra-marathon est une sorte de condensé, ou de résumé, de ce qu’elle vit comme cinéaste d’aventure : « Les ultras sont comme des capsules dans le temps pour moi, car ça ne dure tellement pas longtemps; on sort de là après quelques heures avec une impression d’une expérience d’un mois ! »

D’un hobby préparatoire et pratiquement accidentel, on glisse tranquillement vers le perfectionnement de quelque-chose qui ressemble de plus en plus à une passion. « Par la suite, j’ai commencé à mettre plus d’énergie sur cet aspect de ma vie, car j’ai compris que j’avais une attirance envers cette communauté qui bougeait. À Montréal, à l’époque, je ne connaissais pas beaucoup de monde qui s’impliquait dans la course en nature. Je me suis rapprochée de certaines personnes et ça qui m’a donné le goût de continuer. » La nature, l’aventure, la communauté; ça suffit souvent pour poursuivre un beau parcours de coureuse et approfondir ce type d’expérience, mais Caroline Côté est aussi une habituée des podiums.

Qu’est-ce qui motive l’aspect « performance » chez elle ? « Ça a toujours un lien avec l’équipe qui me soutient. Je n’ai pas envie de les décevoir et je suis toujours en train d’essayer de performer davantage pour éviter qu’ils attendent plus longtemps à la fin. En même temps, il y a une partie de moi qui veut vraiment performer, qui voit chaque course comme une stratégie pour gagner quelques minutes. » Caroline ressent aussi le besoin de bien se documenter pour parfaire ses expériences; « Je lis beaucoup sur tout ce qui peut améliorer les performances, je m’alimente également énormément aux blogues consacrés à la nutrition. »

En quoi son travail de cinéaste a-t-il influencé sa manière d’aborder le sport ? « La réalisation et la course se complètent vraiment; je dois toujours rester très en forme pour accomplir mes documentaires et vidéos à propos de gens qui se dépassent dans des situations assez complexes ou des milieux hostiles. En course en sentier, si tu ne cours pas pendant un mois, tu reviens un peu à zéro, ce qui peut ressembler aux acquis que je dois conserver pour mon travail. Aussi, la question du poids, d’apprendre à courir léger malgré les besoins d’autonomie qui correspond aussi aux impératifs de mon travail. » La force mentale, constamment affûtée et mise à l’épreuve tant au travail qu’en course, contribue à entretenir le dialogue entre ces deux aspects de sa vie. « Je me dis souvent, hé, t’as déjà souffert de froid sur le terrain pendant trente jours lors d’une expédition liée à un tournage, tu ne vas pas commencer à te plaindre sur cette course qui dure deux jours, go ! »

JUSQU’AU DÉPASSEMENT

« L’engagement m’inspire, ça fait partie des fondations de mes valeurs. Qu’on parle d’un couple, d’une relation, d’une course, d’un projet, d’une expédition, dès qu’on met le pied sur le terrain, sur la ligne de départ, si notre engagement n’est pas sérieux; on ne terminera pas. S’engager, c’est mettre du poids dans la balance. Il y a un effet d’entraînement qui en découle. »

En 2017, elle tourne le documentaire Qamaniq. « Le projet était d’amener des femmes à courir dans le parc Kuururjuaq. Ces femmes ne se connaissaient pas et je voulais voir comment un tel groupe allait faire pour tisser des liens dans un contexte de dépassement. J’ai donc monté l’expédition pour pouvoir filmer ce genre de situation. Le titre du documentaire, Qamaniq, veut dire là où la rivière s’élargit… ». Avec Caroline, donc, l’horizon s’ouvre comme un fjord et elle n’hésite pas à provoquer des instants qui permettent de construire des ponts entre Inuits, entre Inuits et la population du sud du Québec, entre aventurières. Tout, d’une certaine manière, est question de saisir, sans le capturer, le rapport humain qui se crée hors de la zone de confort. « Ce n’étaient pas des femmes habituées à la course en sentier, ni même à l’aventure, mais ce que j’ai vu, ce sont des femmes qui ont du cran, qui s’accrochaient très fort à ce qu’elles avaient, qui ne semblaient pas vouloir laisser tomber les projets pour lesquels elles s’engageaient. J’ai parié sur le fait qu’elles iraient au bout de l’aventure et ça s’est avéré. Ce sont de magnifiques personnages engagés dans quelque-chose qui les dépasse, et c’est ça qui porte le projet. »

Femme inspirante s’il en est, quand on écoute Caroline, c’est surtout des autres dont elle parle. C’est avec une émotion palpable qu’elle parle de ces femmes qui l’ont inspiré, comme c’est le cas pour ses autres films d’aventures où la rencontre humaine est responsable d’une grande part de la magie. « Les femmes du projet Qamaniq (qu’on pourra d’ailleurs voir à Télé-Québec en 2021) par exemple, devaient être engagées, mais aussi démontrer un niveau de leadership très élevé et être très autonomes, chacun doit être solide individuellement afin d’être capable d’avancer collectivement. Ce sont des apprentissages, beaucoup, beaucoup d’apprentissages. » Ça nous rappelle la course en sentier, l’autonomie nécessaire, mais aussi l’équipe, essentielle, qui supporte l’athlète. Beaucoup d’apprentissage, là aussi. Beaucoup d’engagement.