J’ai pris la clef des champs et vécu mes frissons de collines printaniers en savourant un peu des Cantons-de-l’Est. Oui, un peu car je n’avais que 4 jours et comme vous vous en doutez, les Cantons, c’est pas tout p’tit ! Il s’agit d’un territoire s’étendant sur 16 000 km carrés. Cette fois-ci, je me suis rendue dans Brome-Missisquoi. Et quelle belle virée, si ce n’est que pour l’appréciation de cette magnifique campagne et ses maisons au style unique, héritage d’immigrations américaines, britanniques, puis canadiennes-françaises. Du style néo-classique à la cossue néo-Queen Anne, en passant par les inspirations géorgiennes, néo-grecques, néo-gothiques et Second Empire, ce riche patrimoine fièrement entretenu par ses habitants aujourd’hui à 92 % francophones* est un véritable plaisir pour les yeux. Mais au-delà de l’esthétisme, ce qui fait pour moi la belle des aventures, c’est les rencontres avec l’habitant. Les Cantons-de-l’Est m’en ont fournies plusieurs.
Jours 1 et 2 : Sutton
Pour la première partie de mon escapade, je me suis rendue Au Diable Vert, un site d’hébergement insolite où vivre diverses activités en plein air. Le site propose une virée en forêt – marche, ski de fond, raquette – sur une quinzaine de km de sentiers. Un parcours de 1,2 km avec panneaux informatifs – à faire de nuit à la lampe frontale pour une expérience +++ – permet d’en apprendre sur la diversité de la faune. J’ai dormi dans un pod. Ces petits refuges rustiques sont au nombre de 9, stratégiquement installés pour apprécier les richesses de la nature. Le mien faisait face à la clairière, me plaçant aux premières loges d’une vue imprenable sur les Appalaches. Autour de mon feu de camp, j’ai été surprise par une myriade de lucioles et j’ai entendu le hululement de la chouette. De ma couche, l’ingénieuse fenestration m’a offert le décor d’une douce nuit étoilée. Au Diable Vert propose d’ailleurs un concept novateur pour apprécier le spectacle céleste avec son planétarium à ciel ouvert animé par un astronome. Si les astres étaient bien visibles lors de ma visite, l’activité n’était pas encore disponible. À vivre, j’imagine !
Au petit matin, ce fut la descente et la remontée de rivière en kayak sur la Missisquoi. Avec une pluie fine en début de semaine, les oiseaux régnaient en roi et maître sur cette eau calme et peu profonde. D’ailleurs, le terme « missisquoi » signifie en abénaqui « multitudes d’oiseaux aquatiques ». Au Diable Vert offre également la location de chambres à air et de planches à pagaie pour profiter du cours d’eau.
Enfin, l’activité la plus inusité de ma visite Au Diable Vert s’avère le vélovolant, une cabine à arceaux et pédales à partir de laquelle on sillonne la forêt sur 1 km de sentier aérien. À 100 pieds de haut, on s’offre une toute autre perspective de l’environnement et contrairement au zipline, on contrôle la vitesse du parcours. Il n’y a à ce jour qu’Au Diable Vert qu’on puisse vivre cette expérience au Canada et elle vaut vraiment le détour vers l’avant, vers l’arrière, en mode « stand-by » pour le plaisir de la contemplation.
Lors de mon passage, il faisait pluvieux et frisquet. Je n’ai pas cuisiné dans mon pod, j’ai plutôt opté pour la découverte de deux établissements dont la réputation n’est plus à faire. J’ai choisi Le Cafetier, rue Principale, pour son ambiance décontractée qui rallie touristes et locaux et ses sandwiches au pain dense et volumineux qui sustente un bonne partie de la journée.
Puis j’ai soupé chez Sutton Brouërie. La déco mi-victorienne mi-industrielle est harmonieuse et la terrasse sur le bord du ruisseau est bucolique à souhait. Mon plat était un peu trop épicé pour mes papilles sensibles, mais la bière maison était parfaite. En plus des leurs, ils en servent plus d’une vingtaine provenant des quatre coins du Québec. Et si j’avais eu ma carte de la FADOQ – que je rechigne à commander depuis 2 ans – j’aurais eu droit à 10 % de rabais !
En sortant du resto, un bêêêêlement a retenu mon attention. Guidée par le son, j’ai rejoint la rue perpendiculaire où broutaient des moutons. Norma a rentré les bêtes et m’a laissé visiter son étable qui héberge aussi des poules et un cheval. L’octogénaire qui détient une clause grand-père après trois générations d’éleveurs n’a pas de relève. Après elle, on ne pourra plus entendre les moutons bêler, rue Principale après souper.
Jours 2 à 4 : Bromont
Au 2e jour, j’ai pris la direction de Bromont. La journée était pluvieuse et fraîche, mais les routes des Cantons-de-l’Est sont si paisibles qu’on ne peut échapper à ses charmes. J’étais déjà tout à fait détendue lorsque j’ai rejoint le Balnéa. Le spa a cela d’exceptionnel qu’il est logé sur un vaste terrain loin de toute rumeur d’activité urbaine. Pas de de vrombissement de bolides à la ronde, que le bruit des oiseaux et du clapotis de l’eau quand on y plonge. Il y aura toujours quelques impolis qui ignorent les panneaux qui appellent au silence, mais sinon, c’est la paix. La Sainte Paix ! J’y apprécie tout : improviser mon circuit à travers les 4 saunas aux effluves d’eucalyptus ou de sapin-citron et les nombreuses aires de repos, les vapeurs parfumées des bains turcs, le sauna grotte aménagé dans le roc, les matelas sur lesquels on se laisse flotter sur les eaux du lac Gale. Gros coups de coeur pour l’aquarium et la salle d’inspiration orientale avec ses petites niches pour un repos des plus privés. Le beau fait du bien et les concepteurs du Balnéa l’ont bien compris en mettant en scène des installations qui s’harmonisent parfaitement aux oeuvres de la nature. L’expérience est totale et je l’ai poursuivie en séjournant au coquet Hôtel Beatnik du même propriétaire.
L’ancien camp de vacances a été rénové par l’architecte Sylvain Bélanger du cabinet Muuk qui a mis un soin méticuleux à amalgamer l’esprit d »origine des lieux – dont l’arche de l’ancienne grange – aux lignes d’inspiration scandinave. C’est esthétique, confortable et convivial. On y trouve des aires communes pour se détendre et cuisiner et une cour intérieure avec piscine, tables et hamacs. Pour les nomades numériques dont je suis, il y a bien sûr le wifi et une terrasse extérieure depuis laquelle on peut travailler en toute quiétude. Et c’est abordable avec une offre allant de la chambre, au studio, jusqu’à l’appartement.
Après la détente, les courbatures ! J’ai visité Backbone Boulder pour vivre l’expérience du bloc, cette version d’escalade intérieure où on rejoint les prises sans corde ni harnais. Le centre a ouvert ses portes il y a un peu plus de deux ans. C’est un projet familial qui rallie la voyageuse/femme d’affaire/artiste trentenaire Frédérique Marseille, son père Jean qu’on définit comme le gars de PR, sa mère Andrée qui administre l’entreprise et son frère Charles, grand grimpeur et chargé de toutes autres tâches connexes si l’on se fie au site web. L’espace est aéré, lumineux, la musique est bonne, la vibe est cool. On sent la passion qui anime les membres de l’équipe et des adeptes qui forcent et flânent en alternance. Les prises sont déplacées chaque semaine, de sorte que la route réserve toujours des surprises aux habitués. Le centre offre aussi un espace gym, un café qui s’approvisionne auprès des producteurs locaux pour offrir des produits santé à saveur régionale et des installations extérieures funky dont le « pit à feu », le « slack park », des hamacs, un terrain de beach volley et même un jacuzzi ! Le gérant Thomas m’a expliqué les rudiments du sport avant de m’entraîner vers le top. Il explique comment tomber, car la chute fait inexorablement partie du parcours du débutant. Le lendemain de ma visite, j’ai découvert qu’il ne m’avait pas menti : contrairement à l’escalade de roche, avec le bloc c’est les bras qui font le plus gros du travail.
L’ex-monitrice d’escalade que je suis a eu beaucoup de plaisir. Grimper, c’est comme remonter sur un vélo, ça ne se perd pas et la distance n’a pas d’importance, c’est le kick d’aller de l’avant qui compte.
C’est en roulant sur la route Pierre-Laporte, que j’ai découvert la Ferme Norli, un des plus gros éleveurs d’alpagas au Québec. La copropriétaire Lise m’a offert un tour des plus sympathiques. Pour la petite histoire, elle et son mari Normand achètent la ferme de production laitière Pollender en 1983. Ils y font aussi l’élevage de poules, porcs, moutons, chevaux et chèvres. C’est début 2000, à une foire agricole qu’ils découvrent l’alpaga. L’idée d’adapter la ferme à ce joli camélidé originaire d’Amérique du Sud fait son chemin. En 2009, c’est chose faite. La ferme est convertie et 26 alpagas s’y installent pour un virage vers l’agro-tourisme et le filage, ce qui a tout pour plaire à celle qui tricote depuis l’âge de 7 ans. Le cheptel compte aujourd’hui 150 têtes, toutes aussi douces, intelligentes et pacifiques les unes que les autres. Lise les affectionne au point de leur donner un prénom et ils la reconnaissent lorsqu’elle les appelle. Je crois que ce qui fait la grande valeur des alpagas, c’est qu’ils sont aussi doux au touché qu’ils le sont dans leur comportement. La boutique de la ferme offre chaussettes, foulards, mitaines, chandails dans les 22 nuances naturelles de beiges, de bruns et de gris. En plus des versions teinture. Le coût des items s’explique par le fait qu’on ne tond qu’une fois par année et qu’il faut la laine d’un animal entier pour produire un chandail. Outre les articles de laine filée, on peut s’y procurer de la viande. Mais ne le dites pas à Linus, le nouveau-né que j’ai vu debout à son premier jour de vie. Parlez-lui plutôt de la « maison de l’amour » où il pourra s’accoupler dans 3 ans, entouré de belles « filles » comme Lise les appelle affectueusement. Et s’il vous prend l’envie d’adopter, sachez qu’il viennent en équipe de trois minimum, ce sont des êtres grégaires, eux itou.
Impossible de se rendre dans le Cantons-de-l’Est sans virer un tant soit peu du côté de la route des vins. J’ai eu l’occasion de visiter deux vignobles et de m’entretenir avec leur patron.
Léon Courville, propriétaire fondateur du vignoble du même nom, m’a reçue dans son magnifique cadre champêtre. Nous avons échangé, assis sur chaises Adirondack, avec vue imprenable sur les vignes et lac Brome, en sirotant son délicieux St-Pépin.
Son goût du vin lui vient de sa période universitaire à Pittsburgh où il a fait la connaissance d’un distributeur. D’initié, il passe au statut de collectionneur durant ses années d’enseignement aux HEC. En 1999, à sa retraite de la présidence de la Banque Nationale, il transforme son verger – qu’il avait acquis à bon prix d’un propriétaire dont le référendum de 1981 avait fait peur – en vignoble. Son pari était bon : le micro-climat aux abords du lac et la générosité des sols étaient propices à la nouvelle vocation de la terre.
Les vignes du Vignoble Léon Courville fournissent aujourd’hui une production de 100 000 bouteilles par année. Des vins blancs, rouges, rosés, des vins de glace et des mousseux selon la méthode champenoise. On y trouve 12 cépages différents : 3 vitis vinifera et 9 cépages hybrides, plus résistants au froid et moins sensibles aux maladies. Au fil des ans, les vins du vigneron ont gagné plusieurs prix et sa passion ne s’est pas essoufflée. Le goût d’apprendre et la capacité de s’adapter le guident vers la poursuite de rêves qui se vivent au présent. « Le vin, c’est le voyage plus qu’une destination ». Léon Courville est un grand communicateur. J’ai apprécié sa curiosité et je me suis sentie privilégiée qu’il prenne le temps de se raconter.
Mon deuxième stop de la Route des vins des Cantons-de-l’Est m’a menée vers un plus jeune vigneron, animé par le même dynamisme que celui de son aîné. Il en faut pour se lancer dans une telle aventure, début trentaine et sans plusieurs millions en mise de fonds. François Vaes ne regrette pas un seul instant d’avoir vendu son entreprise en transport pour acheter son vignoble en 2015, même si les congés sont rares. L’idée lui avait été lancée, car il souhaitait démarrer quelque chose dans la région. C’était audacieux, mais jouable pour ce fils d’agriculteur qui a étudié en technique agro-alimentaire. Ce qui l’a convaincu, c’est l’opportunité de monter sur un train qui démarre. De ce qu’il m’a dit, le vin représente des ventes de 2,5 milliards à la SAQ et à l’époque de sa transaction, le marché artisanal représentait 0,5 %. C’est en homme d’affaires qui a flairé un marché à grand potentiel qu’il a visité trois vignobles avant d’arrêter son choix sur les vignes du chemin Nord de Brigham. Si l’administration et la culture n’ont pas beaucoup de secrets pour lui, son appréciation du vin est des plus terre-à-terre. Nul besoin de faire grands cas des libellés. Pour François Vaes, l’appréciation du vin est avant tout une expérience personnelle liée à une émotion où le lieu et la compagnie sont déterminants. Ses vins nouveaux mondes sont au nombre de trois : un rouge et un rosé composé de Marquette, de Frontenac Gris et de Frontenac Noir et un blanc aux cépages Frontenac Blanc et Frontenac Gris. Nuit d’octobre, La première fois et Blanc volage, autant de noms qui évoquent des anecdotes pour le vigneron qui, à l’instar de Léon Courville, prend plaisir à se raconter. Ses 8 000 vignes lui permettent de produire 5 000 bouteilles par année. Il compte avoir triplé sa production dans 3 ans. Le Vignoble Bromont comporte aussi une charmante auberge et il accueille une soixantaine de bénévoles pour les vendanges fin septembre sur réservation.
Côté restauration, je n’ai pas fait bombance ! L’offre en temps de pandémie étant maigre en début de semaine, je n’ai pu découvrir qu’une seule adresse à Bromont. Mais quelle belle expérience que cette visite au Bistro L’Ami Fritz, boulevard de Bromont ! Le petit établissement où le patron nous reçoit tout sourire derrière son masque est exclusivement dédié aux bretzels et aux flammekueche, un plat alsacien cuit au four à la manière d’une tarte. Plusieurs variantes sont offertes : garnies de fromages, de lardons fumés, d’oignons et autres légumes, sans oublier les versions sucrées.
Freddy a ouvert les portes du resto il y a maintenant deux ans et si son accueil est chaleureux, son plat fait aussi plaisir à déguster. La tradition veut qu’on le partage et c’est ce qui a inspiré son initiative « Flamme du coeur » qui offre un repas à des personnes en situation précaire à chaque trois « Soeur Marguerite » vendues. C’est ce que j’ai mangé. C’était bon dans le bouche et dans le coeur.
Merci à Tourisme Cantons-de-l’Est et Tourisme Bromont d’avoir permis ces découvertes et un merci tout particulier à Julie, Norma, Sophie, Marielou, Thomas, Léon, François, Lise et Freddy d’avoir rendu mon séjour parmi vous si accueillant.
*Information fournie par le Commissariat aux langues officielles.