Si on parle de grimpe, d’alpinisme, la glaciériste Nathalie Fortin est une référence incontournable. Mais à l’évocation de son nom, vient aussi très vite les mots engagement, générosité, échange, conseil, entraide, détermination et on pense aussi immédiatement à la place, à l’accès, et au rayonnement des femmes dans le monde du sport et du plein air.
Entrevue avec Nathalie Fortin, celle qui tutoies le ciel
Enfant adoptée ayant grandi à Chicoutimi, l’ingénieure de formation qui a fait du travail humanitaire et qui travaille aujourd’hui en environnement, a compris très jeune que la place qu’elle prendrait dans la vie, elle la gagnerait en faisant ses classes, en gravissant marche par marche chaque étape et en traçant elle-même son chemin avec rigueur et discipline.
Tu as toujours été très sportive; course, vélo, compétition de natation, etc. Mais grimper des montagnes, c’est arrivé comment dans ta vie ?
« Par un total hasard ! J’étais partie dans l’Ouest canadien dans un échange interprovincial pour travailler dans mon domaine d’expertise en ingénierie, alors que j’étais à l’Université Laval. Nous étions dans le sud de l’Alberta où il n’y avait que des cactus, mais absolument aucune paroi d’escalade. Et Lethbridge, c’est vraiment très chaud. À la fin de l’été, je suis allée rejoindre une amie à Vancouver et cette journée-là, elle n’était pas disponible parce qu’elle devait faire une formation comme guide de kayak. Elle m’a donc proposé de suivre son frère qui s’en allait faire de l’escalade de rocher. »
À ce moment-là, tu n’y connais rien et tu n’as pas l’équipement approprié ?
« Nous sommes en ’92 ou ’93, et je n’y connais absolument rien, mais j’ai toujours fait des sports depuis que j’ai 6 ans. Je faisais de la compétition de natation et je cours depuis l’âge de 14 ans. Donc le sport, c’est dans ma peau et je suis toujours attentive et partante pour d’autres choses. Mais là, on me parle d’aller faire de l’escalade, c’est comme Oh my God ! D’accord, mais vais-je être capable ? Mais l’intérêt est beaucoup plus grand que mes craintes. Alors, je me lance comme ça avec une personne que je ne connais pas. Maintenant que je suis monitrice d’escalade en moulinette, mais aussi en premier de cordée et que je connais tous les dangers, je me rends bien compte qu’à ce moment-là, je ne me suis jamais posé la question des dangers : est-ce que ce garçon a l’expérience nécessaire, etc. »
Tu ne conseillerais pas ce chemin à des débutants aujourd’hui ?
« Je fais tellement de gros discours sur la sécurité dans mes cours… Mais à ce moment-là, je ne me suis jamais posée la question; ça voulait quand même dire qu’inconsciemment, l’intérêt était assez grand. Et j’ai adoré ça ! Ça a été le début d’une grande révélation. Puis, de retour au Québec, en poursuivant mes études, j’ai commencé à travailler dans une boutique de plein air où j’ai fait la connaissance d’amis extraordinaires qui sont encore dans ma vie aujourd’hui. Nathalie Thomassin a été ma première partenaire d’escalade. Elle grimpait déjà en rocher. On a expérimenté ensemble les parois écoles à Québec et quand est arrivé l’hiver, on est allées faire une clinique avec François-Guy Thivierge de l’école la Montagne en ville et puis ce même hiver, je faisais ma première expérience d’escalade de glace. »
Tu as eu des rêves de hauteur dès le début ?
« Bien que je ne m’en souvenais plus, en fait, c’était un rêve de longue date d’aller à l’Everest. Il y a d’abord eu l’escalade de rocher avec Nathalie Thomassin et à l’époque, on louait notre équipement en escalade de glace. Moi, j’avais mes bottes de ski alpin, je les amenais dans mon sac à dos. On avait froid aux pieds mais ce n’était pas grave; on avait du plaisir. Pis elle, elle savait faire des relais. On louait l’équipement à un ami, qui lui avait une petite école d’escalade. Puis, ça m’a donné le goût de trouver plus de partenaires de grimpe. À partir de là, j’ai eu deux partenaires importants avec qui j’ai eu de belles relations de cordée. À cette époque, je ne grimpais pas en premier de cordée, je secondais. J’ai grimpé 30 ou 40 fois les deux premières années. La troisième année, j’étais vraiment prête à grimper en premier de cordée. »
En plus de travailler « comme tout le monde », tu es aussi guide et tu donnes des cliniques ? « C’est très important pour moi de redonner. Je me suis aussi rendue compte que la plupart des femmes qui font de la grimpe de glace ont été initiées par leur chum où, du moins, elles sont venues à en faire parce que leur chum en faisait. C’est donc un autre mur qu’il faut faire tomber. Une femme doit pouvoir s’intéresser à ce sport par elle-même et avoir accès à des cercles et des modèles de femmes qui pratiquent aussi cette passion. »
Pour l’Everest, tu as été privilégiée côté commandites, mais tu l’as eu difficile avant de partir ?
« Un jour, je me suis fais mal au dos en courant et à la fin de la journée, je n’étais plus capable de m’asseoir. Ça a été le début de plusieurs mois de combat. Je travaillais debout, je n’avais pas le choix. Ça me prenait 10 minutes pour sortir de l’auto. Ces étapes-là te font réaliser qu’il faut être heureux de ce qu’on peut accomplir. Je me revois dans mon lit, couchée, je regardais ce que j’avais fait dans la vie et c’était pas mal ! C’est dans cette posture que j’ai appris à être fière de moi. Et c’est un apprentissage que j’essaie de transmettre. Ça n’a rien à voir avec l’égo, on a le droit d’être fier de soi ! Et puis à un moment donné, un collègue m’a apporté un article qui parlait de la décompression neurovertébrale de la clinique Zéro Gravité. Je me suis dit, ça va marcher ! L’attitude fait toute la différence. Et ça a marché : j’ai suivi le traitement et cela m’a sortie du lit. Je leur ai ensuite demandé de m’aider pour mon expédition et ils l’ont financé au complet ! »
La suite est extraordinaire bien que teintée d’un épisode tragique. On parle d’une très belle histoire où l’espoir domine et où le soleil, quoi qu’il arrive, répond toujours au rendez-vous pour éclairer le chemin du beau côté des choses. Nathalie n’a jamais arrêté de grimper depuis que son dos est guéri. Après sa réussite de l’Everest, en 2018, elle s’est attaquée au K2. C’est dans cette expédition qu’elle a perdu un de ses deux partenaires, Serge Dessureault, victime d’une chute fatale entre le camp 1 et le camp 2. Une expérience traumatisante mais sans pour autant l’éloigner du rêve d’atteindre un jour ce sommet.
Le K2, elle le regrimpera, cette montagne fait partie de son chemin, de ses pensées.
« L’escalade m’a appris à me débrouiller par moi-même », dit-elle, citant le livre de Yvon Chouinard, fondateur de Patagonia, Entrepreneur malgré moi. Et cela, ça vaut de l’or, comme le fait d’avoir appris à être fière d’elle et de redonner à sa communauté. Nathalie redonne, comme la montagne qui offre autant de rêves, de vertiges et d’objectifs.
L’escalade, c’est son univers, une passion qu’elle vit depuis 20 ans et qui l’a amenée à parcourir le monde. Elle en mange, donne au suivant, partage sa science, prête même de l’équipement. Elle a d’ailleurs crée un groupe Facebook, « Des Femmes et des Lames », où les grimpeuses peuvent échanger. Si à aucun moment de l’entrevue elle n’a parlé de féminisme, on peut dire que le soutien aux femmes, la valorisation de leurs différents cheminements, la reconnaissance de leur apport sont des notions bien ancrées en elle et dans son engagement. Nathalie, c’est un moteur qui par ses actions pousse sainement les femmes, et tout le monde finalement, au dépassement.
Note de la rédaction : une expédition comme l’Everest coûte 50 000 $ à Nathalie parce qu’elle ne prend qu’un sherpa avec qui elle partage la charge. Avec un guide, cela coûterait 75 000 $. Cette somme, requiert de trouver des commanditaires. C’est le nerf de la guerre et c’est chaque fois un grand défi. De l’argent pour ses expéditions, Nathalie en cherche toujours.
Pour suivre ses aventures nathmontagne sur Instagram et Nathalie Fortin, alpiniste – conférencière sur Facebook.