Je suis depuis longtemps fascinée par les hasards nécessaires. Ces synchronicités qui parsèment notre vie, bien souvent sans qu’on y porte attention. Par exemple, il y a quelques années, j’avais en tête de prendre un cours de langue étrangère pour agrémenter un voyage prochain. Dans un corridor au travail, je croise A qui est professeure de langue. Pressée, je ne peux lui demander si elle est disponible pour offrir des cours privés. Quelques jours plus tard, alors que je prends l’autobus pour Montréal, je constate que A est dans l’autobus. Nous avons ainsi deux heures pour en jaser et planifier la forme que prendront mes cours de portugais. Un hasard ?

Tout comme dans mon texte précédent, le texte de Charles Pépin alimente ma réflexion. Pépin distingue deux conceptions du hasard : 1) le hasard vu comme un destin que prône Spinoza (Pépin, p.123), c’est-à-dire « ce qui est et ne pouvait pas ne pas être » ; et 2) le hasard de contingence propre à Épicure et Sartre (Pépin, p.123). Ce dernier n’est pas prédéterminé, car « il est, mais aurait pu ne pas être ». Dans l’histoire ci-haut, je prenais très rarement l’autobus, j’aurais pu ne pas le prendre ce jour-là.

Plus récemment, j’avais rendez-vous avec un groupe RencontreSportive au mont Mont-Saint-Bruno. Déjà, c’était particulier que j’aie choisi cette destination; j’habite l’Outaouais. Alors que je suis en route, un ami me contacte et m’offre une randonnée en duo. D’un côté, j’ai un groupe de 7 étrangers. De l’autre, j’ai l’occasion de revoir une personne que j’aime beaucoup. Je choisis d’aller vers le groupe d’inconnus. De cette randonnée, une cascade de rencontres signifiantes s’en est suivie. Parce que nous étions à cet endroit, ce jour-là, alors que rien ne nous portait à y être. En appréciant l’heureux hasard de ces rencontres, j’adhère à la vision d’Épicure qui nous invite à « s’émerveiller devant ses surprises de la vie ». (p.124).

  1. Provoquer sa chance en sortant de chez soi

    Provoquer ce hasard exige à la fois de « sortir de chez soi » et de « sortir de soi ». Pépin écrit : « En me mettant en mouvement, je produis des changements dont je ne peux mesurer les effets, mais qui influeront sur la chaîne de causalités. » (p.125). Il s’agit de rompre avec ses habitudes, de faire un pas de côté dans la danse de la vie. Ici, j’en profite pour vous inviter à penser à une rencontre signifiante (qu’elle soit amicale, amoureuse ou professionnelle) dans votre vie.

Cette rencontre pourrait-elle ne pas avoir eu lieu ? Si vous aviez choisi un autre lieu de vacances, une autre auberge où séjourner, une autre journée pour aller randonner ou même un autre moment pour vous brancher sur un site de rencontres particulier ? Un peu magique quand on y pense. Non ?

Sortir de chez soi signifie briser la routine, être en éveil. Je dirais même se déséquilibrer volontairement en sortant de sa zone de confort afin de créer l’espace pour une possible rencontre. Cela peut être aussi simple que de varier les endroits où on fait l’épicerie ou notre circuit de marche en soirée.
Essayer une nouvelle activité ouvre une place à la rencontre, mais encore faut-il aborder celle-ci sans attentes particulières. Ainsi, je vais randonner, je vais danser, je vais rouler avec un groupe parce que j’aime l’activité et non pas avec l’attente de rencontrer. Je n’espère pas croiser LA personne qui me fera vivre des papillons, ce qui mettrait malheureusement déjà la table à la déception et au sentiment d’échec. J’ouvre un espace en moi pour découvrir l’autre et ce faisant, me découvrir. Sans attente, sans pression, sans quête, je suis et je découvre qui tu es. Il se peut alors que, tel que l’écrit Éluard, tu « entres dans mon cœur par surprise ».

En repensant à une rencontre signifiante dans votre vie, dans quel état d’esprit étiez-vous ce jour-là ? Comment vous êtes-vous laissé.e surprendre par cette conversation, cet échange ? Qu’avez-vous appris sur l’autre, sur vous, sur la vie ?

2. Sortir de chez soi par les applications de rencontres

Les applications de rencontres sont une manière de sortir de chez soi… encore faut-il se garder d’y voir un catalogue infini de célibataires disponibles ! Libeller son profil soigneusement, prendre le temps de lire attentivement ceux d’autrui, contacter les personnes dont les propos résonnent en nous même s’ils ne remplissent pas tous nos critères – qui sait quelle surprise nous attend ? -, échanger avec sincérité. Voilà autant d’occasions de rencontres signifiantes. Personnellement, la lecture d’un profil m’inspire parfois l’écoute d’une pièce musicale ou la lecture d’un livre. Je vis donc une expérience positive, même lorsque les échanges sont brefs ou inexistants.

Qu’en est-il pour vous ? Y a-t-il des profils qui vous ont interpellés, questionnés, sans jamais avoir rencontré son auteur/autrice ? Qu’avez-vous appris à leur lecture ? Sur vous-même, sur les autres ?

3. Sortir de chez soi, un premier pas.

Comme plusieurs d’entre vous, il m’arrive d’avoir de la difficulté à me motiver à participer à une activité, ou encore, à me joindre à un nouveau groupe. On est si bien chez soi ! Lorsque je fais fi de ma petite voix, je suis plus souvent qu’autrement récompensée par de bons et beaux moments de partages. Je prends alors conscience que j’aurais pu ne pas être « ici », et ne pas vivre ces rencontres. De même, lorsqu’un.e ami.e me dit avoir perdu son temps car « sortir de chez soi » ne lui a pas fait rencontrer l’amoureux.se rêvé.e je rétorque : « Qu’as-tu appris sur toi-même, sur l’autre, sur la vie ? ». Car si sortir de chez soi nous sort de notre zone de confort et donne lieu à de possibles rencontres, ce n’est qu’un premier pas. Encore faut-il s’investir pour que ces rencontres soient signifiantes.

De quelles manières avez-vous envie de provoquer le hasard ? Est-ce difficile ou au contraire, facile pour vous de faire un pas de côté, sans attentes, en accueillant les surprises de la vie ? Quelles sont vos histoires de belles surprises de rencontre ?

En conclusion…

N’est-ce pas un peu magique de penser à tout ce qui ne serait pas, si on n’était pas sorti de chez soi pour oser ? Je terminerais par ces propos de Pépin « agir, c’est s’aventurer dans le monde sans savoir à quoi ressemblera cette aventure, sans connaître à l’avance les effets de la rencontre entre notre action et le monde. » (Pépin, p. 133). Agir, c’est accepter l’incertitude, ne pas pouvoir prédire la fin de l’histoire. D’une certaine manière, sortir de chez soi nous invite à vivre pleinement le moment présent.

Références.

Pépin. C. (2021) La rencontre. Une philosophie. Paris. Allary Éditions.

Aristote. (2004). Éthique à Nicomaque. Paris. Flammarion.