Ce mois de juillet, avec mes ados respectivement âgés de 16 et 17 ans, je me suis plue à déconstruire des mythes tenaces sur le fabuleux royaume du Saguenay-Lac-Saint-Jean et surtout à confirmer la réputation ô combien fondée du bel accueil que nous réserve ses habitants.
À 52 ans, après avoir bourlingué aux quatre coins de la planète, il était temps que je découvre l’histoire et les beautés naturelles de cette région. J’ai tellement aimé mon séjour et les rencontres que j’y ai faites que je me suis mise à rêver que je pourrais m’y installer un jour. Road trip au cœur d’un monde jeune et déjà si riche de parcours.

L’ANSE-SAINT-JEAN : DE SOMMETS ET D’EAU FRAÎCHE

La municipalité membre de la Fédération des Villages-relais du Québec et de l’Association des plus beaux villages du Québec s’étend sur plusieurs km. Entre montagnes, rivières et fjord, la campagne nous offre un chapelet de jolies maisons de campagne et de fermes agricoles. Au pied du Mont Édouard, au coeur d’un centre de villégiature, se trouve la Maison de Vébron. L’auberge est stratégiquement située pour les skieurs. Et l’été, sa localisation en périphérie de la zone touristique permet un séjour des plus reposants. Nous avons profité du spa Edouard-Les-Bains où Nancy nous a accueillis avec un joyeux bonjour !, bienvenu après nos longues heures de route.
L’établissement dispose de deux saunas secs, deux bains nordiques avec chute thermale, deux bains à remous, un bassin à trois déversements, un hammam – non fonctionnel lors de notre passage – et divers espaces de repos dont une yourte et l’étonnante Grotte des Demoiselles dont les dessins aux murs fluos rappellent ceux de Lascaux. En son centre, trône une améthyste qui, si on se fie aux adeptes de lithothérapie, favoriserait le calme mental. Je ne saurais dire si c’est le fait de la pierre semi-précieuse, la musique new age, le clair-obscur ou l’ensemble de l’œuvre, mais 30 minutes dans cet environnement m’ont effectivement procuré un grand bien-être.

Outre le spectaculaire des sommets, c’est l’eau douce et salée de l’estuaire à la fois mer et rivière qui fait la richesse de la région. Pour en profiter pleinement, rien de tel que de la pagayer. Nous avons vécu l’expérience avec Fjord en kayak que Myriam Savard a acheté il y a quatre étés. Celle qui a été horticultrice et enseignante à Montréal est aujourd’hui propriétaire de la plus grosse entreprise d’expéditions de 2 à 6 jours au Québec. Il était incontournable pour elle de revenir dans sa région natale. Si la transaction a fait reculer son train de vie, le retour sur l’investissement se lit sur son visage. Suivant les vents et les marées, jonglant avec le défi des météo changeantes, ses guides expérimentés mènent leurs clients sur une quarantaine d’expés par année. La bonne humeur communicative, le savoir-faire de l’équipe, les beautés environnantes, tout chez Fjord en kayak respire le bonheur au grand air. Thomas, y est guide depuis trois ans. Le Lyonnais a quitté son job dans une centrale nucléaire pour vivre son rêve de cabane au Canada. Il semble avoir trouvé sa place entre ses hivers de patrouille de ski et ses étés à conter les légendes régionales et partager les particularités du majestueux plan d’eau qui peut atteindre jusqu’à 270 mètres de profondeur. Il nous a donné des nouvelles du béluga qui après appris avoir subi un massacre impitoyable il y a une centaine d’années – on l’a quasiment complètement exterminé, le croyant responsable de la chute des stocks de morue et de saumon -, est aujourd’hui au nombre de 900. On est loin de la population qui en comptait 100 000 en 1920 et pour que l’espèce reprenne du poil de la bête, il faut s’en tenir loin. Il semble que le bruit des moteurs ajouterait à son stress et nuirait à sa reproduction. Et c’est sans compter les risques d’attaque du requin du Groenland que l’humain ne croisera jamais puisqu’il apprécie les profondeurs, mais dont l’espérance de vie d’au moins 272 ans en fait un prédateur non négligeable pour le béluga.

Histoire de s’en mettre plein les jambes, nous avons ensuite parcouru le Sentier de la Statue qui offre une vue imprenable sur le Fjord sur la majeure partie des 7,6 km qu’il faut pour rejoindre la vierge. Du haut de ses 9 mètres, celle qu’on surnomme la « Madonne du Saguenay » veille sur les eaux à Cap Trinité depuis 1881. Un écriteau nous apprend qu’il aura fallu huit jours et une dizaine d’hommes pour hisser la sculpture de bois de 3 tonnes jusque-là. Le Parc national du Fjord-du-Saguenay propose d’autres randonnées et on peut y pratiquer le kayak, la voile, la pêche, la camping entre autres activités de plein air. Comme pour les autres parcs de la Sépaq, depuis Covid, il faut acheter son droit d’accès en ligne avant la visite. 

Une autre activité terrestre à vivre à l’Anse-Saint-Jean, c’est la balade sur deux roues.
Rita et Denis, propriétaires de l’Auberge La Fjordelaise depuis 16 ans, ont gentiment accepté de nous prêter leurs vélos pour la journée, courtoisie généralement réservée à leurs locataires. Nous aurions volontiers apprécié leur table d’hôte, mais ce n’était pas possible, le restaurant étant booké au moins un mois à l’avance en période estivale.

BALADES BUCOLIQUES ET PLAISIRS GOURMANTS

Une piste cyclable longe la rivière Saint-Jean et la traverse via le pont du Faubourg – dont les 122 pieds de murs intérieurs présentent des œuvres d’artistes locaux – avant de nous entraîner dans la forêt et sur les routes aux maisons qui rivalisent de coquetterie. Cette bucolique balade nous a menés à la découverte du vignoble artisanal de Germain Girard. Les Vignobles du Fjord, situés sur le chemin Saint-Thomas Nord, peuvent compter sur un microclimat de fond de vallée qui les protège des grands vents. On y cultive 600 vignes Adalmiina, Marquette, Radisson et Muscat, dont les fruits servent essentiellement à la production de vin pour les proches et amis. Mais si vous êtes de nature curieuse et qu’il vous prend l’envie de saluer Germain et son épouse Mireille alors qu’ils s’affairent sur leur terrain, vous pourriez poursuivre votre route équipés d’un blanc (Brumance), un rosé (La Caille) et le Rouge du Fjord. Lors de notre passage, le menuisier-charpentier à la retraite était occupé à construire un gazebo. Il a posé ses outils, Mireille s’est jointe à nous et, tandis que nous dégustions les produits du viticulteur, le couple nous a raconté son parcours de riverain attaché à une maison qu’il a fallu déplacer et reconstruire à la suite du débordement de la rivière. Ce fut un des plus beaux moments de notre séjour. Avis aux voyageurs : le terrain de 5 hectares comporte un chalet à louer. Dur de trouver mieux pour savourer la quiétude et l’hospitalité de la région. 

Côté restauration, l’offre est variée à l’Anse-Saint-Jean. Au petit déjeuner, il y a l’incontournable Café du Quai. La terrasse est pleine ? Pas de soucis ! Sébastien Birot, le sympathique patron d’origine bretonne, nous prête le couvert pour que nous dégustions ses crêpes sucrées ou salées à même le quai municipal.
Le coopérative Chasse-Pinte qui brasse des bières bio aux accents de forêt boréale administre aussi un très chouette bistro. Accrédité Ambassadeur de saveur Zone boréale et Aliments Québec, le menu propose une cuisine du marché avec les arrivages frais de la région. Sa grande terrasse en bordure du Fjord et ses spectacles extérieurs ajoutent au plaisir de l’expérience.
On trouve aussi les bières Chasse-Pinte à la chaleureuse Auberge Le Camp de base qui compte huit chambres, un service de réservation d’activités de plein air et un resto. C’est là que nous avons rencontré Justine au service de la clientèle depuis 3 ans. Comme pour Myriam de Fjord en kayak, ce retour au bercail après des années de vie montréalaise allait de soi. Son attachement est palpable. Il suffit de lui dire notre enthousiasme pour son coin de pays pour voir son visage s’illuminer.

Pour notre dernière journée, on nous a recommandé la découverte de Petit-Saguenay. Quelle belle idée ! Du village, un chemin nous mène à un quai où se trouve une anse. À marée basse, on peut rejoindre des bouts de terre par les rochers. La municipalité vaut aussi le détour. Son site web annonce un projet domiciliaire qui se veut le fruit d’une collaboration citoyenne, un éco-quartier fondé sur des principes de développement durable. Dans ce jeune coin de pays où l’espace ne manque pas, il est collectivement possible de mettre en place un aménagement respectueux de l’environnement.

L’ÉPICE LOCAL AUTOUR DE CHICOUTIMI

À Chicoutimi, nous avons installé nos pénates au très confortable Hôtel Chicoutimi. L’établissement est situé au centre-ville, rue Racine, à côté de la cathédrale Saint-François-Xavier. Et vue sa hauteur, on y découvre les plus beaux couchers de soleil sur la rivière Saguenay. De là, on rejoint le fameux restaurant Chez Georges fondé par Georges Abraham en 1960 et aujourd’hui géré par son petit-fils. L’établissement a été rénové récemment mais à la demande générale, l’enseigne vintage est restée. Quand on demande le meilleur de la carte, on nous propose un spag ou des grillades. Je soupçonne pour ma part que la plus grande spécialité de Chez Georges, c’est de bien traiter ses employés… qui le rendent bien aux clients. La semaine de notre visite, Audrey célébrait son 33e anniversaire à l’emploi du resto. Et elle n’est pas la seule employée de carrière sur place. Au moins deux autres serveurs comptent plus de 25 ans d’ancienneté. L’endroit profite d’une ambiance joyeuse qui nous aura amené à nous y attabler deux soirs de suite. C’est de là que nous avons assisté au dernier match du Canadien, celui où la Coupe nous a échappé. Malgré la déception, la bonne humeur naturelle a vite pris le dessus, même chez les plus fervents supporters. La septuagénaire Patricia, dont le père Édouard Lalancette fut goaler pour Le Saguenéen, a laissé aller ses tonitruants « Allez-y, les p’tits gars » pour nous piquer une jasette hyper chouette. Il y a de ces endroits où après la zamboni, on passe simplement au dessert… ou au digestif 😉

Autres adresses qui nous ont ravis : le restaurant-trattoria La Place 337 et L’Assorti. La première propose une table créative qui se distingue avec ses pizzas romaines et napolitaines. La fenestration abondante offre une vue sur la zone portuaire, ce qui ajoute à l’effet wow de ce resto à aire ouverte qui, même bruyant et plein à craquer, s’avère agréable à fréquenter. On y trouve aussi une boutique et un comptoir prêt-à-manger.
Chez L’Assorti, on découvre une carte à l’ardoise où on ne prend aucun raccourci; chaque sauce est faite maison à partir d’un fond de plat cuisiné sur place suivant les arrivages saisonniers. Le bistro offre aussi ses classiques à la carte, lesquels peuvent compter sur un accord vins ou bières à partir d’une sélection évolutive. Une expérience goûteuse et toujours cette touche si sympathique dans le service; l’épice local par excellence.

REMONTER AUX SOURCES …

À La Baie, le Musée du Fjord nous a réservé une très ludique activité. Sauvé des eaux est un rallye pédestre que l’on effectue munis d’un chariot dont les compartiments nous révèlent des indices pour découvrir les caractéristiques artistiques et culturelles. Ce jeu qualifié d’invasion est une course chronométrée. Il s’agit d’un bon défi. Mes enfants étant allumés, nous avons bien fait. L’inscription familiale coûte 50 $ et vous obtenez une réduction de 25 % sur le prix d’entrée au musée. On y trouve un aquarium, un spectacle multimédias qui nous entraîne dans les eaux du Fjord et un vivarium mettant en vedette les insectes du Québec. Notre coup de coeur va à l’exposition Des racines et des rêves : un regard neuf sur le Saguenay-Lac-Saint-Jean. Nous y avons découvert que la croyance populaire qui veut que le Saguenay-Lac-Saint-Jean compte 4 femmes pour un homme n’est pas fondée. Comme pour l’ensemble de la population humaine, il y a là 106 naissances de garçons pour 100 de naissances de filles. 

Autre mythe que nous avons déboulonné est celui de l’importance de la consanguinité dans la région. L’exposition nous révèle qu’il n’y a pas plus de mariages consanguins au Saguenay-Lac-Saint-Jean qu’ailleurs au Québec. Il ne faut pas confondre consanguinité et homogénéité qui est le résultat de l’effet fondateur. Dans les populations résultant d’un effet fondateur, les individus risquent davantage de porter les mêmes défauts génétiques, c’est pourquoi la fréquence de certaines maladies y est souvent plus élevée. Autre info intéressante, nous avons appris que les Saguenéennes mariées avant 1930 ont en moyenne eu 7 enfants – chose normale pour l’époque – et que deux frères Tremblay (Athanase et Marcellin) mariés en première noce à deux soeurs Larouche (Mélanie et Mathilde) possèdent le record du plus grand nombre d’enfants. En une quarantaine d’années, chacun a eu 2 femmes et 26 enfants. Aujourd’hui, on compte 81 500 Tremblay au Québec et ils se trouvent en grande concentration au Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Face au musée du Fjord, impossible de manquer l’étonnante Pyramide de Ha ! Ha ! formée de panneaux Cédez le passage, clin d’oeil à l’eau qui aura fait céder la digue en emportant tout sur son passage entre le 19 et le 20 juillet 1996. La Baie des Ha ! Ha ! s’avère le 2e site qui aura été le plus affecté par le déluge. La réalisation de l’oeuvre commémorative de l’artiste Jean-Jules Soucy a été rendue possible grâce à plus de 30 000 dons recueillis parmi les familles sinistrées mais aussi au-delà de la région. Faite d’aluminium, la pyramide nous survivra pour raconter cette tragique part de l’histoire du Saguenay. 

Et bien sûr, en ce 25e anniversaire du déluge, il nous fallait rendre visite à la Petite Maison Blanche devenue musée. On lui a attribué toutes sortes de qualificatifs dont celui de résiliante. Sa dernière propriétaire Jeanne-d’Arc Genest a cru en l’oeuvre de la Vierge dont elle a laissé une statue avant d’évacuer la maison. Mais c’est assurément beaucoup à son défunt époux Alyre Genest qui aura eu la bonne idée de refaire ses fondations à la suite d’un premier débordement du barrage Price en 1947 que la maison doit d’avoir été épargnée. Une reconstitution et des artefacts nous donne un aperçu du mode de vie des belles années de la résidence.

VERS LE GÈNE FONDATEUR

À travers nos visites dans la région, nous avons découvert que le déluge de 1996 est la 3e catastrophe naturelle que la région aura connu en seulement 150 ans. Une visite au Centre d’histoire d’Arvida nous a appris qu’il y a 50 ans un glissement de terrain détruisait le village de Saint-Jean-Vianney qui connaissait alors une formidable expansion grâce aux retombées économiques des industries de l’aluminium et du bois. L’avenir était prometteur. En dix ans, sa population avait triplé. Puis la nuit du 4 mai 1971, un quarantaine de maisons ont été englouties dans un gouffre de 32 hectares de boue et d’argile, ce qui s’est avéré la fin de Saint-Jean-Vianney.

Et si on remonte encore plus loin dans le temps, on découvre qu’il y a 150 ans, en 1870 plus précisément, un incendie s’étendant sur 3 900 km2 a ravagé plus de 500 fermes et maisons. Probablement provoqué par des abattis, le feu s’est déclaré près de la rivière à l’Ours à Saint-Félicien pour s’étendre jusqu’à la Baie des Ha! Ha ! 120 kilomètres plus loin. Quelque 700 familles représentant 30 % de la population furent relocalisées. Nous ne saurons jamais ce qu’aurait été cette région sans ce drame qu’on a nommé le Grand Feu. Mais malgré l’épreuve, force est de constater qu’il aura eu des effets positifs. La première conséquence étant une accélération fulgurante du travail de défrichage, libérant ainsi des milliers d’hectares de terre arable. Et la suivante aura mené à la prolifération du bleuet, une terre brûlée s’avérant un terreau fertile pour la culture du petit fruit. Enfin, il est permis de croire que ces drames auront fait germer dans la population un sens aigu de la communauté et tonifié le muscle de la combativité.

Ainsi, au final, la Petite Maison Blanche n’est qu’une des nombreuses manifestations de la résilience d’un écosystème fondé sur un gène fondateur que je qualifierais de bonheur. C’est ce gène qui fait que les employés de Chez Georges y travaillent depuis des décennies. Celui qui a amené les expatriés Edgar, Thomas, Sébastien, Jérome et plusieurs autres rencontrés à s’installer dans ce coin de pays. Celui qui a ramené Myriam et Justine dans leur région natale. Et c’est encore lui qui fait qu’on y retournera, car on s’y sent chez soi.

Le drapeau du Saguenay-Lac-Saint-Jean