Je me suis entretenu avec Anne-Marie Lefebvre alors qu’elle rentrait tout juste de sa 22e sortie de course de son défi de courir 30 jours en ligne sur le pont Jacques-Cartier à raison de 9 km par jour pour un total de 270 km afin de ramasser des fonds pour les Banques alimentaires du Québec. De manière très naturelle, on plonge dans l’entretien sans qu’elle prenne une pause; comme plusieurs athlètes, la course fait partie de sa vie, de son souffle, et tout ça semble bien se placer dans son horaire sans anicroche. Elle va bien, ça s’entend. Le défi semble apporter plus à son corps qu’il ne le secoue.

Travailles-tu en courant?

« Pour moi, c’est difficile de vraiment parler car je m’essouffle trop, mais je réfléchis beaucoup pendant que je cours. Comme ces temps-ci je suis souvent accompagnée par des amis pour mon défi, il y a évidemment des moments où on jase et c’est aussi ça le plaisir. Mais vient un moment où je dis, pour le prochain segment, je vais mettre mes écouteurs et entrer en méditation, dans ma bulle. Et là je réfléchis, je place des choses. J’apprécie beaucoup ce moment. Le fait de courir provoque dans nos corps quelque chose qui m’apparaît propice aux bonnes idées. Les endorphines m’apportent un état d’euphorie; je ris beaucoup quand je fais du sport. La bonne humeur est dans le tapis et, en plus, ça m’amène à voir les choses avec une perspective un peu plus vaste, plus large. Il paraît qu’il y a maintenant des entreprises qui font des réunions d’équipe en marchant; c’est signe que ça peut être très constructif, la réflexion en mouvement et à l’extérieur comme ça. Ça prédisposerait à avoir une bonne ouverture d’esprit et plus de créativité. En tous cas pour moi, dont le matériau premier de mon travail est justement la créativité, courir me sert beaucoup. »

Et tu as choisi de faire ton défi sur le pont Jacques-Cartier, ce qui repousse encore plus loin les limites de l’horizon, et qui rapporte autant au corps qu’à l’esprit, j’imagine?

« C’est le grand angle, les grandes perspectives. Ce que j’aime également dans le fait de courir sur le pont, c’est qu’on a à faire à des sommets; tu montes et descends constamment. La montée, un défi en soi, on l’associe facilement au concept d’objectif ou d’arrivée au sommet. Ce qui génère des constructions très positives dans l’esprit. Puis, la descente, c’est une récompense, ce qui fait du bien, ce qui fait avancer. Et qu’on le veuille ou non, on fonctionne beaucoup par récompense ou avec la gratification dans la vie. Faire un parcours qui m’offre quatre montées et quatre descentes, en plus de celles du viaduc entre chez moi et le pont, c’est hyperstimulant ! »

Le travail en côtes est un des exercices les plus bénéfiques en course à pied. Quand on court sur le plat, on ne s’améliore que sur le plat, quand on court en montée, on s’améliore en montée et sur le plat. Ça ressemble à des intervalles. Là, ton défi t’impose un type d’exercice, mais d’habitude, suis-tu un plan précis ou tu improvises en courant?

« Je me suis mise à la course en courant il y a seulement cinq ans. En l’espace de 5-6 mois, je suis passée de zéro km au demi-marathon. Je me suis lancée là-dedans comme un taureau, et quand j’ai compris que j’allongeais les distances, j’ai suivi un plan afin de bien faire mon demi. En fait, j’ai tellement eu de plaisir à faire mon premier 5 km -qui à la base, m’effrayais ! -, que je me suis dit que je ne pouvais pas en rester là. Il faut dire que je suis compétitive envers moi-même, et avouons-le, compétitive tout court ! J’aime ça, bien me classer. C’est important pour moi de m’améliorer d’une course à l’autre, d’aller grappiller des secondes, ça me motive énormément. »

La course semble quand même assez naturelle pour toi, non ?

« Oui, c’est vrai. Mais à ma première course homologuée, j’étais quand même nerveuse et très impressionnée ! Mais ce 5 km à Lac-Brome s’est franchement très, très bien déroulé, et quand je suis rentrée à la maison, j’ai dit à mon chum, ça va trop bien et c’est trop l’fun cette affaire-là pour ne pas poursuivre. Le soir-même, je m’inscrivais déjà à une épreuve du double de la première. C’était parti. Évidemment, quand je suis revenu du 10 km, même constat, même propos à mon chum, et je m’inscrivais alors au demi-marathon de Montréal. À ce moment-là, j’ai décidé de suivre un programme structuré et j’ai respecté la méthode proposée pour faire le temps souhaité. Ces dernières années, j’avais un peu laissé aller les sorties bien organisées, et, mon défi pour les banques alimentaires me force à me grouiller à nouveau d’une manière disciplinée. C’est me sert de prétexte pour recommencer. »

Qu’est-ce qui explique la baisse de motivation?

« Depuis un an et demi, deux ans, ça me tentait moins. J’avais de la difficulté à sortir deux ou trois fois par semaine. Aussi, j’étais passé de célibataire à une relation avec avec quelqu’un de sédentaire. Ça a forcément eu des impacts sur la routine et ma discipline sportive. Donc, je sortais courir, mais je ne vivais pas l’effet d’entraînement que l’on connaît lorsqu’on est en couple avec une personne sportive. »

C’est très facile de mettre de côté ce qui demande un effort, surtout si nos proches sont moins sensibles ou attirés par notre passion. Mais tu l’as dit plus tôt, ça vaut la peine de se secouer, non ?

« En redevenant célibataire, je me suis dit qu’il fallait que je reprenne plus assidument cette activé que j’aimais tant. L’ennui, c’est que je m’y suis remise en pleine pandémie, au moment où toutes les courses étaient annulées. Sans compétition, sans objectif précis, c’est souvent plus difficile de se motiver, de se décider à bien faire les choses, surtout quand la température n’est pas invitante. »

Le défi est arrivé au parfait moment ! Et on ne regrette jamais de sortir courir, n’est-ce pas ?

« Tout peut nous enlever le goût de sortir, mais dès qu’on a mis le pied dehors et qu’on commence à bouger; on est content d’être là, même quand le temps semble hostile. Je sais qu’il y a des gens pour qui c’est difficile et que ça demande beaucoup. Moi, j’ai du fun à courir. C’est un bonheur extraordinaire. Je me fais un cadeau en faisant cet exercice. »

Pour toi, le sport comme le mouvement fait partie de ton hygiène de vie ?

« J’étais sauveteur national, j’ai toujours fait beaucoup de vélo (c’était aussi mon moyen de transport pendant des années), j’ai fait du cyclotourisme, du ski et du bateau-dragon qui est le seul sport d’équipe, avec le tennis, qui me convenait car je suis nulle avec un ballon. Bref, j’ai toujours été active. Mais est venu un moment, ça coïncide aussi avec la maternité et la vie familiale, où là, je suis devenu plus sédentaire. Et je me sentais maussade. Un loup dans une cage. Pas endurable. J’ai fini par comprendre que c’était parce que j’avais besoin de bouger. Je me suis acheté des running, et là, j’ai eu l’élan. »

C’est tout ça qui t’a amené à créer ton entreprise ?

« En ’99, j’ai fait le Rallye des Gazelles et ce qui m’interpellait dans ça, c’était le défi psychologique, comme le fait de lever des fonds et de trouver des commanditaires. Se lancer dans un défi sportif ou dans un défi d’entrepreneur, c’est un peu la même démarche. Quand je participe à un projet qui est porteur, je deviens une vendeuse convaincante. Forte de mon expérience avec les commandites, je me suis monté une structure solide et j’ai fondé l’Équipe Les Fées. Là, j’ai appris à aller chercher une bonne couverture médiatique. Ensuite, après un certain nombre d’années à voyager avec Les Fées, j’ai ressenti le besoin de me poser et de fonder une famille. C’est là que j’ai eu l’idée de d’offrir un service en ligne à mon réseau de sportives. Les filles m’ont suggéré de le faire mixte. D’un projet à l’autre, est né RencontreSportive. » Et nous voilà, près de 80 000 membres plus tard. 

Entre deux rives, en plein pont, Anne-Marie se recentre et voit plus loin. Toujours plus loin. C’est un moment pour mettre de l’ordre dans ses idées, un moment qui sert aussi l’entrepreneure. Le souffle haletant, les pommettes rouges et ses fossettes rieuses qui lui donnent l’air de sourire tout le temps, tout ça respire la joie. D’ailleurs les coureurs qu’elle croise lui sourient tous. C’est que les endorphines, la bonne humeur dans le tapis, c’est communicatif. Le bonheur circule et au fond, on est tous dans le même bateau, même sur un pont. Anne-Marie court et par le fait même, elle pose un geste pour la communauté, tout comme ses idées et son énergie rayonnent dans tout un réseau. On lui dit merci.