Corinne Chevarier est comédienne et écrivaine. On l’a vue dans 4 et demi, Le Monde de Charlotte, Au secours de Béatrice, etc. Elle a signé quatre recueils de poésie, dont Anatomie de l’objet qui lui a valu d’être finaliste au prix du Gouverneur général et lauréate du prix Félix-Antoine-Savard. Mais ici, c’est à l’entraîneur en chef d’un club de triathlon et à l’athlète – ayant entre autres accomplit cinq Ironman complets – que je m’adresse. Rencontre avec celle qui est aussi la femme de ma vie et avec qui brasser de tels souvenirs vient toujours me chercher, même plusieurs années plus tard.

Tu pratiques la natation depuis la petite enfance, fais de la longue distance à vélo depuis une vingtaine d’années et cours depuis près de trente ans. Comment le triathlon est-il entré dans ta vie? « En 2010, la maladie est arrivée dans mon entourage, car ton aîné fut atteint d’un vilain cancer. Nous courions déjà beaucoup et, pendant un entraînement, tu m’as confié que tu aimerais, lorsque ton fils te regarde dans les yeux, qu’il se sente toujours vivant. Cette phrase-là est restée très présente à mon esprit et je comprenais que c’était par le sport que tu réussissais à conserver ce regard-là pour ton fils. »

Crédit photo : Jonathan Martinet

Courir, au lieu d’être dans l’antichambre de l’hôpital, était notre façon de l’accompagner. « On préparait un marathon pour ramasser des fonds pour la recherche et, pendant ce processus, on a appris que son corps rejetait les traitements de chimio et qu’il ne lui restait que 6% de chances de s’en sortir. Quand tu as reçu l’appel qui nous apprenait ceci, on marchait sur Mont-Royal et t’as perdu pied… »

Ouf, tous ces souvenirs… « Oui ! » – petite pause, silence qui dure, on retient tous deux une larme « T’as vraiment perdu pied et mon réflexe fut de trouver instantanément autre chose afin que tu puisses continuer à avoir ce regard pour lui. Ça prenait quelque chose d’encore plus gros qu’un marathon pour qu’on s’accroche tous. »

C’est là que t’arrive l’idée de faire un Ironman (3,8 km de natation, suivi de 180 km de vélo, puis de 42,2 km de course). « J’ai dit, en pleine rue : s’il y a une force quelque part qui existe, guérissez-le et en échange, je ferai un Ironman. Et voilà ! »

Il faut dire que ça nous apparaissait presqu’irréalisable à l’époque, mais j’ai immédiatement sauté dans l’aventure avec toi. On le ferait ensemble ! « Avant la fin de l’année, une fois le marathon fait, avec la radiothérapie et toute la discipline nécessaire, il a réussi à s’en sortir. Ça fera dix ans et il va bien. Je m’étais donc engagée à faire un Ironman avec toi, et c’est ce qu’on a fait. C’est ainsi que le triathlon est entré dans nos vies. »

En résumé, après un premier marathon réussi, tu comptes à l’époque faire un Ironman l’année d’après sans jamais avoir fait de triathlon? « Exactement. Je connaissais les trois sports séparément. Et très naïvement, je croyais pouvoir marier tout ça sur une longue distance avec une préparation d’un an. Nous avions l’expérience très récente d’un marathon derrière la cravate, beaucoup de volume de vélo et, pour ma part, je nageais déjà beaucoup. Pour nous aider et encadrer tout ça, j’ai décidé de joindre un club où il y avait des gens expérimentés. C’est là, en parlant à l’entraîneur Steeve Murray, qu’on a plutôt décidé d’apprivoiser ça par étapes, en trois ans, en faisant les autres distances en préparation. On a été scolaires et disciplinés. Et on a réussi. »

Apprendre à faire du triathlon, c’est souvent apprendre qu’il y a finalement au moins un des trois sports où rien n’est gagné, ça force l’humilité. « Au départ, j’étais assez confiante dans les trois disciplines. J’avais déjà pratiqué des intervalles à la natation et à la course. C’est le vélo qui m’intimidait davantage, car j’avais moins poussé de ce côté. J’avais moins de techniques de grimpe, moins de connaissances en général. Au fil du temps, ça a changé. J’ai pris du galon au vélo alors que ces dernières années, la course à pied me donne du fil à retorde. Mon corps s’est transformé et avec l’arrivée de la ménopause, ça crée de nouvelles difficultés. »

Crédit photo : Steve Lynch

La ménopause a-t-elle remis en question ta pratique ? « Pas du tout. Mais il faut accepter que bien que je m’améliore encore en triathlon, ça demande plus d’efforts qu’avant. C’est aussi difficile de trouver de la documentation pertinente pour la condition des femmes. La littérature nous dit de demeurer active et de marcher 30 minutes par jour. C’est pas exactement ce qui me convient ! La ménopause demeure assez taboue et pourtant, ça a beaucoup de conséquences sur nous. Il a donc fallu que j’y aille par essais et erreurs, que je réapprenne à faire du sport avec mon nouveau corps, que je l’écoute plus qu’avant, que je reconnaisse les signes de fatigue, que je le respecte. »

Pourquoi faire de la longue distance ? « Ça permet d’aller à sa rencontre, c’est une façon de se connaître plus profondément et on a toujours des surprises. À chaque compétition, on apprend sur soi. C’est aussi une façon de dépasser ses limites. Et tant qu’à s’entraîner, je veux que ça vaille la peine. Et la longue distance colle plus à ma personnalité : c’est un voyage, un voyage qui me ramène à moi. »

Crédit photo : Steve Lynch

Tu as souvent dit que le sport te permettait de te réapproprier ton corps. « Je suis une femme, et dans l’enfance et l’adolescence, j’ai vécu des choses qui ont faites que j’ai senti que mon corps ne m’appartenait pas. J’avais peu confiance en moi, je n’aimais pas mon corps et tout m’indiquait que c’était à cause de lui qu’il m’arrivait des choses non souhaitées. »

Tu voyais ton corps comme une source de problèmes, il fallait trouver une manière de te réconcilier avec lui. « Oui et la danse, à priori, me rendait heureuse. C’était une forme d’expression avec laquelle j’avais de la facilité. Pas de mots, mais tout se passait grâce au corps. C’est paradoxal. Ensuite, étudiante au conservatoire, je me suis faite agresser à la sortie du métro. J’ai d’ailleurs été obligée de me faire reconstruire l’épaule suite à ça. Et là, la confiance en a pris un sérieux coup; j’étais incapable de remonter sur scène. Cette situation m’a forcé à trouver une solution. À la sortie du conservatoire, je me suis mise à la course à pied et à allonger les distances. Ça a été salvateur. Par le sport, je me suis réappropriée ce corps qui me permettait de me rendre au bout des défis, de faire des 5, 10, 21 et 42 km. Je ne pouvais plus ne pas l’aimer. »

Le sport t’a donné un équilibre et t’as choisi une discipline particulièrement équilibrée puisque répartie sur trois types de stress différents. « Chaque sport sert à l’autre, tout est intimement lié. On a besoin de moins de volume dans chacun d’eux car ils se relancent, se complètent. »

Crédit photo : Danielle Chevarier

T’as fait des podiums et des compétitions importantes, mais tu n’es pas compétitive. « La performance est importante pour moi, mais je privilégie l’aspect humain, le dépassement de soi, la communion avec toi, avec les autres athlètes et avec ceux qui viennent encourager. »

Tu redonnes aussi comme entraîneur, c’est très important pour toi. « Le partage d’une passion et du savoir compte beaucoup. Aussi, le fait de voir des athlètes qu’on entraîne réussir leurs objectifs est d’autant plus gratifiant. Le triathlon est pour moi un acte d’amour envers toi. Il fait partie de notre quotidien, de nos rituels, c’est entre autres là qu’on se retrouve, qu’on se dépasse. C’est aussi toute une belle communauté rencontrée grâce à ce sport. Et quand je vis un moment difficile, je me dis que j’ai fait des Ironman et que ce n’est pas ça qui va m’arrêter. »

Non, rien ne t’arrêtera Corinne, je le sais, t’es une battante. C’est bien grâce à toi que je fais du triathlon; compte sur moi pour faire d’autres Ironman à tes côtés, c’est une partie de notre aventure !

Crédit photo du haut : Jonathan Martinet