Rencontrer Marie-Josée Lévesque, c’est rencontrer une triple A : la réunion dans une même personne de l’artiste, l’athlète et des affaires. Elle est l’incarnation même de la conciliation travail et famille, ayant su bâtir une compagnie sans négliger sa carrière de « circassienne » tout en plaçant son oeuvre au centre de son univers familial. Rencontre avec une personne ayant les pieds bien sur terre, et qui pourtant, passe la moitié de sa vie en l’air ! 

Tout a commencé avec la gymnastique acrobatique à l’adolescence? « Oui. Pas avec la gymnastique rythmique ou artistique, mais bien avec quelque chose qui tient de l’acrosport. On faisait de la planche sautoir, un accessoire puissant qui permet des sauts en continue et des sorties grandioses, comme on voit au cirque. »

Si cela fait au moins 80 ans que cette discipline se retrouve dans les compétitions modernes, c’est surtout par le cirque que la plupart d’entre nous y a été initié. Comment le cirque est-il arrivé jusqu’à toi ? « Je faisais beaucoup de compétitions de trampoline et faisais partie d’un club de gymnastique acrobatique* au Mont-Saint-Hilaire. J’étais très acrobate, mettons. Et on faisait aussi des spectacles, pas seulement de la compétition. »

Historiquement, lors des premières compétitions acrobatiques, seule l’exécution technique était évaluée. Maintenant, tant le degré de difficulté que l’aspect artistique sont jugés. Pour toi, comment le passage vers l’artistique s’est précisé ? « J’avais environ 12 ans et j’étais extrêmement timide, c’était carrément maladif. Si rien n’a été diagnostiqué, je peux dire que ma timidité était réellement un cas. Mais quand j’arrivais sur scène, je me transformais, je devenais littéralement quelqu’un d’autre. J’avais soudainement la permission de me laisser aller et d’être qui je voulais. Je me sentais bien… et c’est comme ça que j’ai eu la passion pour la scène. Grâce au club (les Lobers), j’ai rencontré une personne clé qui s’est révélée un père, un mentor, un ami, quelqu’un qui croyait en moi davantage que moi-même. Si Sylvain (Rainville) me disait que j’étais capable de m’attaquer à un défi ou à une compétition, je le croyais. J’ai été très chanceuse de l’avoir sur ma route. Puis, à l’âge de 15 ans, j’ai vu le Cirque du Soleil à la télévision. Ce fut une révélation ! Je suis pratiquement entrée en transe; je découvrais un espace où je sentais que j’allais enfin pouvoir être heureuse dans la vie. Jusqu’alors, je n’avais jamais voyagé, je ne parlais que le français, et avec ce médium, je voyais plein d’ouvertures; de l’acrobatie, du théâtre, une famille que je n’avais pas… tout ce qui était là, je le voulais. J’ai dit à mon coach, je veux ça. Il a entendu et m’a amené à une audition et j’ai été prise sur-le-champ. Précisons que j’avais déjà atteint un très bon niveau avant de me présenter. »

Les débuts au cirque.

Le rêve commençait ? « Ouais… sauf que je me suis fait une luxation complète de la cheville juste avant de partir. J’ai pleuré ma cheville, certes, mais le mal était plus grand, je pleurais ma vie. J’avais l’impression que tout, absolument tout, s’écroulait. Mon coach m’a relevée et a été d’un grand soutien. Il m’a fait voir ça avec philosophie; si c’était arrivé, ce ne devait pas être pour rien, je n’étais peut-être pas complètement prête. On a travaillé fort, j’ai guéri et 6 mois plus tard, un nouveau contrat se présentait. À 16 ans, donc, je commençais pour vrai ma carrière au Cirque du Soleil avec le spectacle Le Cirque Réinventé. »

Et tu as monté un solo… « Après deux ans au Cirque, on m’a suggéré de monter un solo, ce que, venant directement de la gymnastique, je n’avais jamais fait. Je suis allée à l’École Nationale de Cirque pendant 4 ans et j’ai créé mon solo avec le trapèze Washington**. Je me tiens donc uniquement sur la tête en me balançant à une vingtaine de pieds dans les airs, sans que mes mains ou que mes pieds touchent à quoi que ce soit. J’ai été la première à faire ça au Canada. Au milieu de cette aventure, j’ai rencontré un homme – devenu mon mari – et je suis tombée enceinte d’une fille qui fera de moi sous peu une grand-mère de 49 ans ! »

Le trapèze Washington chez Marie-Josée où elle se place tête renversée, sans autre appui.

Le solo, c’est une sorte de parenthèse où l’artiste porte tout sur ses épaules. Peu de place à l’erreur. Personne pour te ramener si tu te perds en route. « C’est une chose d’être dans un groupe, et c’est un autre monde d’être toute seule. T’es toute seule longtemps. Faut que tu sois forte et forte techniquement également. J’ai appris à faire face à ça, j’ai appris à me construire une confiance. Ce numéro, je l’ai créé à l’école. Ensuite j’ai accouché. Le Cirque du Soleil m’a réengagée quand ma fille a eu 12 mois pour présenter mon numéro (comme back up) sur tous leurs spectacles et dans leurs événements spéciaux. À tous les jours, j’étais payée pour m’entraîner avec une chorégraphe à Montréal, et de temps en temps, je partais faire des spectacles. »

Ce rythme se poursuit pendant deux ans, et ensuite tu travailles deux ans avec le Cirque Éloize où tu présentes, là aussi, ton solo. « Oui et puis, enceinte de mon deuxième, donc forcément moins disponible physiquement, mon mari me suggère de partir une compagnie où je pourrais produire des événements, en créer et servir d’intermédiaire entre les artistes et mon réseau développé au fil des ans. »

C’est donc pendant ta 2e grossesse, en 1998, que tu fondes Cirque Fantastic Concept Inc. Tu avais beaucoup d’énergie ! « Oui, j’ai pris des cours de gestion et de marketing, sans arrêter de monter des spectacles et de trouver des clients comme de faire des salons. Toute la publicité que j’avais faite pour moi au Japon, au Mexique, à Cuba ou en Europe, allait maintenant servir les autres et, par le fait même, ma compagnie. Un levier formidable pour la production d’événements spéciaux. Depuis que je suis en affaires, j’ai fait cinq festivals au Mexique, dont un qui a généré des revenus de près de 400 000 $. À un moment, au Mexique, j’avais un événement où se produisaient trente de mes artistes sur trois spectacles par jour. Ma compagnie s’est aussi illustrée dans plusieurs hôtels et lieux prestigieux des Caraïbes. Ensuite, je me suis mise à monter des événements sur des bateaux à Cuba et en Grèce, ce que je fais toujours avant la pandémie. On parle de plusieurs spectacles qui occupent pratiquement toute l’année et qui circulent en même temps sur différents territoires. »

Et avec la COVID? « Pour la compagnie, on m’avait conseillé de ne pas avoir une trop grande infrastructure, c’est donc plus simple à gérer par les temps qui courent. Je profite de cette période pour me tenir en forme plus que jamais, je fais du vélo de route, du cyclo-cross, du vélo de montagne, du fatbike, du spinning. Je n’arrête pas, quand les affaires reprendront, la machine sera bien huilée. »

On est très loin du cliché de l’artiste qui néglige sa santé et qui ne connaît rien à la gestion. Aussi, ce qui impressionne particulièrement chez Marie-Josée, c’est cette manière dont elle est parvenue à offrir une si belle présence à sa cellule familiale et ce, à travers les nombreux défis professionnels et physiques qu’elle s’est donnés au fil des ans. Visiter sa maison des Laurentides où un gymnase a été aménagé au coeur de l’aire de vie est très révélatrice de l’importance de son noyau familial. Chacun peut s’y épanouir à travers ses passions sportives et artistiques ensemble et aussi chacun à son rythme. Et ça déborde d’énergie et de joie de vivre. Si l’équilibre se dessinait dans le ciel, il porterait la signature de Marie-Josée Lévesque.

* La gymnastique acrobatique moderne, surtout dictée par le cirque, rassemble la chorégraphie, la gymnastique au sol, les pyramides humaines et les enchaînements de portées. Tout pour dérouler le tapis vers le cirque devant la jeune Marie-Josée.

** Exploitant tout le potentiel d’une barre suspendue, le trapèze Washington est un agrès d’équilibriste, suggérant l’hypothèse d’une chute, accentuant l’idée du vertige, et tenant en haleine le spectateur. C’est très rare en Amérique.

Découvrir Cirque Fantastic Concept Inc.